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by Philippe Jonckheere (de) | April 22, 2003 07:40:21
Après Cergy-Pontoise, prendre la nationale 14 en direction de Rouen. En prenant de l'essence au supermarché de Gisors, sur le chemin du travail, le ciel bas se prête admirablement à des considérations pas très réjouissantes. Le parking de ce supermarché fait grise mine, les troènes qui le bordent sont tous atteints de lèpre, une ordure de papiers gras et d'emballages dépecés jonche le sol et les taillis, les graffittis étouffent les murs, tout est l'abandon et les indications de volume et de somme à payer, même lumineuses, peinent à se rendre lisibles sous l'épaisse couche de crasse qui couvre les pompes. La guérite de la caisse a été refaite il y a un an à peine, la précédente avaient des allures de bidonville, la nouvelle est pareillement promise à la jachère. C'est ici que je prends mon essence, non que je me plaise à y faire la queue qui y est souvent longue, mais c'est ici que l'essence est la moins chère. Et aujourd'hui plus qu'un autre jour je réalise
qu'habituellement, je ne regarde pas ce que j'ai sous les yeux, l'abandon à la saleté de cette pompe annexe, je dois surement détourner le regard, comme nous apprenons à le faire de la misère, de celle qui est à notre seuil et qui dérange notre confort douillet. Nombreux sont ces espaces de la ville qui sont régulièrement sacagés et pour lesquels on se plait souvent à souligner que ceux-là même qui les ont endommagés, souvent en les rendant inutilisables à tous, ne feraient pas de même chez eux. "Quand on voit ce qu'on voit et qu'on entend ce qu'on entend on a raison de penser ce qu'on pense". Dans le cas du parking du supermarché de Gisors, c'est la gérance même du supermarché qui est assez vandale pour nous infliger le spectacle désolé de ce parking en friche. D'ailleurs en y pensant bien ces espaces de vie intermédiaire, là où nul ne pourrait dire qu'il a vécu quoi que ce soit de notable, moments de la vie que nous oublions au moment même où ils se produisent, des
cendre de la voiture, prendre un chariot, faire ses courses, vider les courses dans le coffre, rapporter le chariot, démarrer et repartir chez soi, tant de tâches accomplies dans la précipitation de vouloir s'en échapper au plus vite, ces espaces de vie, où la vie n'est pas donc, se sont dégradés sans que nous nous en soyons aperçus. Cette dégradation fut lente. Lentement, nous avons appris à ne plus voir cette laideur repoussante. La course au profit veut surement cela. Elle nous habitue au fait que le maintien des prix et de la qualité des marchandises se fait au prix d'une négligence accrue de ce qui lui est périphérique. Au même titre que dans la ville nouvelle où je travaille, je vois des facades de sociétés, certaines notables, dans ce qu'elles ont pignon sur rue et que leurs noms vous diraient toutes quelque chose, certaines de leurs façades, donc, portent encore en janvier 2003 les stygmates hérités de la tempête de décembre 1999. L'intensité du commerce est telle qu
e nul n'a le temps de réparer la devanture, nous continuons à vous servir pendant les travaux. Nous avons appris à ne plus voir ces carreaux brisés, ces bâches devenues fort sales qui cachent la misère vraiment, nous ne les voyons plus et finalement n'ouvrons plus les yeux qu'arrivés de retour dans notre cocon, notre maison, hâvre de proreté et d'ordre. Sur le chemin du travail, je ne vois plus la périphérie de Gisors sur laquelle l'implantation sauvage de hangars et de supermarchés égrenne de ces structures à charpente métalique qui sont autant de verrues dans le paysage. Je ne vois plus en haut de la montée sur l'aire de repos où souvent est stationnée une cammionette de prostituée, des ordures et des ordures qui débordent de la seule et modique poubelle prévue pour receuillir seulement les papiers gras d'une famille qui se serait arrêtée là pour une courte halte. Plus loin je ne vois plus le village-rue que tous traversent à pleine vitesse et dont les murs des maisons qui
bordent le route portent la saleté de la route jusqu'à hauteur d'homme. Je ne vois pas non plus la chaussée défoncée au rond-point, plus loin, au retour du travail de nuit c'est pourtant là que je m'arrête à chaque fois pour couper la route au sommeil. Et quand je traverse Cergy, sur l'autoroute, je ne vois plus ces immeubles mal conçus, mal dessinés, mal construits, ces quartiers qui n'en sont pas, tout juste une succession de rond-points, en s'approchant encore de Paris, les voies se font plus larges, je ne vois pas d'avantage les rambardes crasseuses, autour de Paris, les tunnels noircis au gaz d'échappement, je ne les vois plus, arrivant à Noisy-le-Grand, je ne vois pas davantage l'immeuble de Riccardo Bofill totalitaire dans la bruine, sale surtout, et dont on a le sentiment qu'il se delitte surement de partout. Les trottoirs qui le jouxtent n'ont pas été bitumés jusqu'au bout. Là les graffittis crient plus fort. En arrivant au travail j'apprends que les réseaux du mon
de entier essuient le feu d'une attaque virale. Ce n'est pas encore cette semaine que la façade sera refaite. Comme je ne la vois plus, je ne vais pas m'en plaindre. (26 janvier 2003)day 22042003.txt 1/2 -
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by Philippe Jonckheere (de) | April 22, 2003 07:46:23
Ces lignes extraites d'Espèces d'espaces de Georges Perec:"Cela n'aurait évidemment aucun sens s'il en était autrement. Tout a été étudié, tout a été calculé , il n'est pas question de se tromper, on ne connait pas de cas où il ait été décelé une erreur, fût-elle de quelques centimètres, ou même de quelques millimètres.
Pourtant je ressens toujours quelque chose qui ressemble à de l'émerveillement quand je songe à la rencontre des ouvriers français et des ouvriers italiens au milieu du tunnel du Mont Cenis."
Et quand je conduisais ce matin sur l'autoroute et ses tunnels déserts, j'entendais l'écho de cette voix qui ne pouvait pas être la mienne tellement elle me parvenait de loin, comme de l'autre tronçon d'un tunnel qui ne serait pas encore percé de part en part et dont justement de grossières erreurs de calcul et d'appréciation auraient conduit à ce que les deux tronçons ne se joignent pas, ma voix dans un micro, hier soir, au cours d'une lecture d'Espèces d'espaces de Georges Perec. (premier février 2003)day 22042003.txt 1/2 keywords Prairie -
07:48:07
by Philippe Jonckheere (de) | April 22, 2003 07:48:07
Vu aperçu mal vu sur le côté de la route en allant au travail cette fin d'après-midi, une voiture accidentée, de laquelle est sorti un homme qui se rendait surement à un mariage pour être habillé de façon aussi sote, une espèce de complet veston pied de poule, à moins que ce ne fût à un bal masqué, l'homme était de grande taille, éflanqué, décidément très emprunté dans son costume de témoin de mariage endimanché, il portait dans ses bras, retenus dans des mains osseuses et dûment gourmettées un épouvantable chiot, une sorte de chihuahua-à-sa-mémère-avec-un-ruban-entre-les-oreilles, vous n'êtes pas obligé de me croire mais ce chien-là portait effectivement un ruban rose sur le chef, ce qui d'ailleurs se détachait prodigieusement, en terme de couleurs, du pied de poule gris moyen, un gris donc à 18% de reflection, et qui habillait donc notre homme qui se donnait volontiers des airs de mafiosi de basses oeuvres en plein boulot. En soi cet homme était la renc(6 octobre 2002)
ontre fortuite et accidentelle de deux chansons de Tom Waits, une dans laquelle un quidam met le feu à la maison de sa femme parce que vraiment il ne supportait plus son chihuahua et cette autre chanson dans laquelle un autre quidam demande à un tiers: et tu sautes toujours par la fenêtre habillés de costumes coûteux? ( Are you still jumping out of windows in expensives suits ). J'ai bien pouffé, englué dans mon embouteillage rituel du tunnel précédant le pont de Joinville, embouteillage qui me fait d'autant plus pester, habituellement, que ma radio perd toute réception, pendant son interminable traversée. Mais cette fois le chihuahua enrubanné aidant, j'étais d'humeur plus badine, aussi je poussais un peu le volume de l'auto-radio en question, ce qui me restitua à merveille cette version acousmatique de 4 minutes 33 de silence de John Cage (je me souviens comme aux Arts Décos avec quelques copains quand on s'appelaient c'était une de nos blagues préférées de s
e dire: "attends je vais baisser un peu la musique parce que je t'entends mal. Pourquoi qu'est-ce que tu écoutes? John Cage: 4 minnutes 33 de silence!", ce qu'on peut-êtrre con quand on est jeune) version dans laquelle on entend du souffle très amplifié ( oui pendant 4'33, comme l'authentifie le compteur horaire du lecteur de CD). Le souffle était accentué encore par le grondement de tous ces moteurs cloîtrés dans le tunnel. Aux sortires de ce dernier la radio s'est remise à recevoir, une note, une seule et je reconnus, assez fier de moi ( ce n'est pourtant pas difficile, mais voyez vous en voiture, seul dans un embouteillage, toutes les vanités ne prêtent pas à conséquence ), le début de Naima de John Coltrane. C'est assez curieux, comme de retrouver dans un livre, dont j'entrepends la relecture, un signet qui me redonne à voir les conditions de sa précédente lecture: j'ai lu Pinget pour la première fois dans les Cévennes en novembre 1992, c'était Quelqu'un
, cette lecture, dans toute sa tension, m'a retenu de l'ennui sans cesse allongé après mon inutile opération du dos. De même lorsque j'écoute certains disques à la maison, je revois souvent comme en songe les paysages d'autoroutes de banlieue sacagée et saturée, en hiver, dans la grisaille, pour les avoir déjà entendus sur mon auto-radio en allant ou en rentrant du travail.day 22042003.txt 1/2 -
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by Philippe Jonckheere (de) | April 22, 2003 07:50:03
Bifurquer ensuite vers Dieppe et Gisors. Le matin de bonne heure, toujours dans cette lutte inégale entre le sommeil envahissant et le conducteur dans la lune qui traverse les grandes plaines du Vexin, résistant tant mal que bien à la tentation de tout abandonner, je décide de m'arrêter là où je ne m'arrête jamais, là où d'habitude je n'ai même pas un regard pour les alentours apparemment condamnés au desert sans accident, au beau milieu d'une de ces étendues agricoles sans vie, à la faveur d'un chemin de terre qui oblique depuis la route. L'air est un peu mobile, l'endroit désert, il fait humide, je me suis éloigné de la route, une centaine de mètres, du coup les voitures qui filaient sur la longue ligne droite glissent sans le vacarme coutumier telles des navettes d'un autre temps. Au loin les nuages gorgés d'eau se fondent les uns dans les autres, toutes grisailles confondues, la lumière grise de l'aube pluvieuse est incertaine, la nuit retomberait derriè
re cette aube baclée que nul ne trouverait à redire. Au delà de Gisors, dans la vallée de l'Epte, les nuages sont au plus bas recouvrant tout d'un crachin qui ne tardera pas à m'envelopper, si je m'éternise ici, et rien ne m'en empêche vraiment. Ce paysage de plaine offre décidément le spectacle d'une grande monotonie. A l'approche des nuages lestés de pluie, le vent se lève sans grande conviction, je ferme les yeux et je me vois soudain en pleine mer (lors de mes incessants va et vients entre Portsmouth et le Havre), curieux quand même cette sensation marine au beau milieu de la plaine, de la terre, la fatigue rend ivre. Et le soir, je relis les notes des jours précédents de ce bloc-notes et je me morfonds de tant de médiocrité: que tout ceci est mal écrit, sans relief, l'image même de la plaine pluvieuse, il faudrait rayer tout cela d'un trait, gommer tous les laborieux reliefs et faire table rase, donner à entendre le silence de ce dimanche matin déchiré de temps en temps
par le passage épisodique de voitures filantes chuintant sur l'asphalte humide. Le silence demande cependant un courage que je n'ai pas, que je n'aurais jamais: je suis cet agité sempiternel qui tourne et retourne la tête aux quatre coins de l'oreiller à la recherche d'une fraîcheur toujours plus évasive, je remonte dans mon automobile et fais le bout de chemin restant en baillant et en braillant à tue-tête Baby you can drive my car pour me tenir éveillé.(6 octobre 2002)day 22042003.txt 1/2 -
07:52:55
by Philippe Jonckheere (de) | April 22, 2003 07:52:55
Je viens de retrouver le petit fichier 16062002.txt écrit sur le bord de la route sur l'ordinateur portable du travail, précisément à cet endroit: Et puis ce matin, à l'aube, en rentrant très prudemment, luttant contre l'invasion du sommeil au volant, je me suis arrêté de nombreuses fois sur le côté, en marge de la route, une faible ondée mouillait les blés blondissants en silence(16 juin 2002).
day 22042003.txt 1/2 keywords Prairie -
07:53:00
by Philippe Jonckheere (de) | April 22, 2003 07:53:00
Contes et Légendes de Syldavie de Pascal Comelade.
day 22042003.txt 1/2 keywords Auto-radio -
07:55:02
by Philippe Jonckheere (de) | April 22, 2003 07:55:02
Photographie des plaines du Vexin dans la lumière du matin, l'appareil est resté réglé comme pour la photographie précédente c'est à dire en position macro, m'apercevant de mon erreur, j'ai eu le temps de régler la mise au point, au contraire sur l'infini, ce qui a donné une photographie certes réussie pour ce qui est de la mise au point mais qui n'a évidemment pas les qualités de celle-ci, j'ai donc gardé la photographie floue et supprimé celle qui était nette.
day 22042003.txt 1/2 keywords Flou -
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by Philippe Jonckheere (de) | April 22, 2003 07:59:22
Dimanche en fin d'après-midi, ça y est, je repars à la maison. Je quitte François, nous nous embrassons, d'être à ses côtés me fait toujours tellement de bien. La route est belle, le soleil rasant, les plaines ondulées de la Champagne pouilleuse ne me font plus peur, la route est inondée de lumière, je ne suis pas pressé, quand j'arriverai les enfants seront couchés, j'irai les embrasser et leur caresser les cheveux, les recouvrir aussi. Je prendrai Anne dans mes bras, et je pense même que j'aimerai décrire plus tard dans ces lignes cette étreinte, j'aimerais aussi parvenir à écrire ces paysages déserts rayés comme par une balafre par la Nationale 4. La nuit tombe et mes pensées ne s'assombrissent pas avec les collines, j'aime les voyages en voiture de nuit. Les alentours de Paris sont difficiles à négocier, une épaisse confiture de circulation, je passe littéralement sous les fenêtres du travail, je m'arrêterai presque prendre un café, mais tout de même la hâte de revoir Anne est là, alors à bout d'efforts de patience de tant d'embouteillages, je finis par rejoindre l'autoroute de Cergy-Pontoise et à plus vive allure maintenant je me dirige vers les plaines du Vexin. Au rond-point de Branchu, une camionette me passe sous le nez et manque de peu de sortir de la route, mais se rattrape in extremis, je me dis ouf, il s'est bien repris. Et puis je la suis et je m'aperçois tout de suite que son conducteur doit être ivre, il fait des embardées en dépit d'une route rectiligne, zig-zague sans cesse, flirte tantôt avec le fossé tantôt avec les voitures d'en face, il roule à tombeau ouvert, je fais des appels de phare, les voitures, nombreuses dans l'autre sens, celui des retours de fins de semaine à la campagne, dans le sens Province-Paris, comme on dit à la radio, les voitures en contre-sens donc, se serrent le plus possible sur leur droite, l'une d'elle est accrochée, mais la camionette n'en a cure qui poursuit son chemin à toute berzingue, je suis désemparé, je ne peux rien faire, je le suis péniblement, ma petite Peugeot diesel poussive fait de son mieux. La camionette commet des embardées de plus en plus spectaculaires, c'est certain, elle va finir par tamponner une voiture dans l'autre sens, c'est une très longue ligne droite qui sépare Branchu de Gisors, dans l'autre sens, une file ininterrompue de phares, et la camionette continue de filer comme si elle choisissait sa victime, car je le sais elle va finir par tuer quelqu'un dans l'autre sens, le genre de face-à-face dont la presse locale se plait toujours à dresser des bilans ordonnés en nombre de pères et de mères de famille et d'enfants. Je cherche une solution, plusieurs fois en douze kilomètres de cette interminable ligne droite, je me dis que ça y est, mais non la camionette redresse sa trajectoire mortelle au dernier moment, c'est affreux, je mords nerveusement mon col roulé, et je réfléchis, je réflechis de toutes mes forces, qu'est-ce que je peux faire?, les appels de phares sont lettres mortes, m'arrêter à une borne et appeler au secours, non, nous allons arriver dans cinq kilomètres à Gisors, je ne crois pas que la gendarmerie aurait le temps de faire quoi que ce soit, je ne vois qu'une seule solution, je le suis, au rond-point de Gisors, il sera obligé de s'arrêter, je sors de la voiture et je saute sur le conducteur, je lui prends ses clefs et je les jette dans le champ d'à côté, le plus loin que je puisse. Je ne vois rien d'autre à faire. Dans la descente qui arrive sur Gisors, la camionette va être ralentie par une voiture qui descend prudemment, je me dis que nous sommes sauvés que je l'aurais au rond-point, la camionette freine et tout d'un coup perd le contrôle et va se jeter sur une voiture qui remonte dans l'autre sens, c'est un choc terrible, un fracas épouvantable, le mélange du verre cassé, de l'acier contre l'acier et aussi du plastic qui casse, c'est ce bruit là. C'est étrange, parce que pour une seconde je me sens libéré: c'est arrivé, il n'y a plus rien à faire. Je freine. Je fais arrêter la voiture qui me suit, lui dit de faire de même avec les suivantes. Je cours à la voiture accidentée, celle percutée par la camionette, cette voiture n'a plus forme de voiture. Dedans il y a un homme inerte, le moteur de sa voiture sur les genoux, le pare-brise en travers de la gorge, je lui prends le poignet, je ne trouve aucun pouls, je cherche le pouls à la pomme d'Adam, je ne trouve rien, je m'arrête, je ne suis pas médecin, je ne sais pas quoi faire, je relâche le poignet de cet homme inerte, d'autres conducteurs sont sur les lieux et me demandent s'il est mort je leur dis de se taire, je sais que l'ouie est le dernier sens en éveil dans l'agonie, avec de la chance les secours arriveront à temps. Pour lui, je ne sais pas quoi faire et je me dis que l'autre, celui qui roulait comme un fou, lui est sans doute blessé, je vais voir, il est sonné, mais il n'a rien, apparemment rien, il est saoul comme un Polonais, l'haleine fétide et le regard vitreux. Je demande aux gens aux alentours de ne pas le quitter d'une semelle, les secours arrivent, ils se jettent sur l'homme encastré dans sa voiture comme parfois les vieux murs de pierre le sont par la végétation, ce n'est pourtant pas le moment de faire des images, mais c'est celle qui me vient à l'esprit, un pompier soulève le toit de tôle, dégage la poitrine et entamme un massage cardiaque, est-ce qu'il y a de l'espoir?, je voudrais y croire. J'aide un autre pompier à porter secours à celui qui n'a rien, mais il n'a rien, le pompier s'en occupe parce qu'il a deviné que c'était lui l'assassin, mais les assassins sont des hommes, je suis d'accord avec le pompier, il faut s'en occuper, pendant que le pompier infirmier l'ausculte, j'ai posé ma main sur son épaule, c'est l'épaule d'un homme, et je me dis qu'il a des épaules comme celles de mon ami François, je sais qu'il a tué, mais c'est l'épaule d'un homme, encouragé par le pompier, je lui parle, je lui demande si cela va, on s'en occupe mais il n'a rien, on l'embarque tout de même sur un brancard. Un médecin du Samu est arrivé, il se porte au secours de l'homme prisonnier de la tôle, rapidement, il ressort et fait signe aux infirmiers qui arrivent avec grand renfort de matériel de réanimation qu'il n'y a plus rien à faire, il demande un drap et recouvre le mort. Je m'effondre. Je n'ai rien pû faire. Un pompier vient me voir, je lui dis tout, la lotterie, les douze kilomètres d'à-qui-le-tour, l'impuissance, on était presque à Gisors j'allai pouvoir fairequelque chose, il est trop tard maintenant. J'ai la tête qui tourne, les jambes en coton, on m'assoit, on prend ma tension, je suis inconsolable. Cet homme je n'ai pas pû le sauver et l'autre l'arrêter. Je vais m'évanouir, c'est toujours ce que je fais quand je refuse la réalité. On m'allonge dans un brancard, on prend mon nom, je parle de ma voiture plus haut, elle est restée ouverte avec le Mac de François à l'arrière, l'appareil-photo sur le siège, je donne la clef à un pompier, il va s'en occuper. Je suis conduit à l'hôpital. Aux urgences, je manque de me casser la gueule en sortant du camion des pompiers, on va chercher un fauteuil roulant (je ne suis pas le genre de personnes qu'on porte, on me roule). Aux urgences, je suis dans une salle, juste à côté de celle du chauffard qui fait du scandale maintenant, et qui demande à partir. On me donne un calmant, j'appele Anne qui se faisait un sang d'encre, pour la rassurer mais en pleurant tout du long, je ne crois pas que je la rassure beaucoup, je lui dis juste que je n'ai rien. C'est étonnant d'ailleurs parce que je n'ai rien mais je suis branché de partout à un moniteur de survie. Les calmants font effet, les infirmiers sont aux petits soins, ils sont ce que les hommes et les femmes peuvent être les uns pour les autres. A côté le chauffard éructe, il ne cesse d'arracher ses branchements divers au moniteur des fonctions vitales, tous nous nous taisons, nous pensons tous qu'il est tellement saoûl qu'il ne se rend pas compte de ce qu'il a fait. Le médecin du SAMU est de retour, il s'encquiert de comment je me sens. Je lui demande ce que j'aurais pû faire, il me dit, rien, le pauvre gosse est mort sur le coup. C'est fini, un gendarme vient enregistrer ma déposition, il écrit, pour moi, à la première personne du singulier, ses phrases sont précises et brèves, rien à voir avec les miennes, je signe.
C'est arrivé précisément à cet endroit, le 23 mars 2003, là où le camion va croiser, sans encombre, cette voiture venant de Gisors.day 22042003.txt 1/2 locations Autoroute -
08:03:12
by Philippe Jonckheere (de) | April 22, 2003 08:03:12
Traverser Gisors toujours en direction de Dieppe, deux kilomètres après Sérifontaine obliquer en direction de Saint-Germer-de-Fly, jusqu'à Puiseux-en-Bray. L'exemple même d'un projet inabouti: depuis le début de l'année je photographie ce champ, à chaque fois que je passe devant, et j'avais dans l'idée, commençant ce projet, au début de l'année donc, que je devrais photographier ce champ toute l'année, façon de saisir le passage du temps, et des saisons, sur ce champ. Nous déménageons mi-juillet et je ne pense pas que j'aurais le loisir de revenir régulièrement jusqu'ici pour photographier ce champ. Dans tous les projets que j'ai pû entreprendre et dont l'écoulement du temps fût le sujet, il semble que ce soit toujours précisément l'écoulement du temps qui les ai rendus impossibles ou irréalisables.
day 22042003.txt 1/2 keywords Prairie -
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by Philippe Jonckheere (de) | April 22, 2003 08:12:34
De fait nous déménageons mi-juillet et, Anne et moi, dans nos discussions, prenons plaisir à ranger, mentalement, ce que nous laissons volontiers ici, derrière nous, et ce qu'au contraire nous regretterons. Nous laissons sans regret Puiseux-en-Bray à ses habitants qui votent massivement pour le Front National, peureux de l'étranger, et des étrangers naturellement, jusqu'au pathétique, envieux aussi dans leurs maisons cossues qui courbent vaillamment l'échine sous l'humidité hivernale, en revanche je regretterai énormément le bout de route entre Sérifontaine et Puiseux-en-Bray.
day 22042003.txt 1/2 locations Puiseux-en-Bray