Photos
-
00:00:43
Par Philippe Jonckheere (de) | 22 avril 2003 à 00:00:43
Ouvrir donc un fichier de bloc-notes selon cette habitude de tous les soirs, fichier qui sera enregistré sous le nom de la date même du jour et qui rejoindra le tas des autres fichiers amassés chaque soir donc, et dans lesquels je m'astreins, aussi bien que je le puisse, à consigner ceux des événements même minuscules de la journée juste écoulée qui ont, soit retenu mon attention, ou soit, au contraire, auxquels je n'ai pas pensé du tout de la journée et pour lesquels je feins en fin de journée de m'intéresser soudainement en tentant de leur donner une forme qui laisse à penser que ces menus incidents aient pû avoir une quelconque incidence sur nos existences.
Journée 22042003.txt 1/2 Mots-clés écran, Ordinateur -
00:03:13
Par Philippe Jonckheere (de) | 22 avril 2003 à 00:03:13
Se prendre en photo, la routine quoi. A minuit. Je suis au travail, à Noisy-le-Grand, dans le département de Seine-Saint-Denis, en Ile-de-France, en France donc, en Europe par conséquent, sur Terre, après, surement, on pourrait affiner encore, ou plus exactement prendre davantage de recul mais je ne dispose pas du tout des connaissances voulues pour cela. Dans Espèces d'espaces de Georges Perec:
"Jadis, comme tout le monde je suppose, et sans doute sur l'un de ces petits agendas trimestriels que donnait la librairie Gibert lorsqu'à la rentrée des classes, on allait échanger le Carpentier-Fialip et le Roux-Combaluzier de l'année d'avant contre le Carpentier-Fialip et le Roux-Combaluzier de l'année à venir, j'ai écrit ainsi mon adresse
Georges Perec
18, rue de l'Assomption
Escalier A
3e étage
Porte droite
Paris 16ème
Seine
France
Europe
Monde
Univers"
Je me souviens de ce film documentaire réalisé par l'Université des sciences de l'Illinois à Chicago et qui montrait, dans un premier temps, la main d'une personne allongée sur la pelouse d'un parc de Chicago, Montrose Park, il me semble, et la caméra, s'approchant de la main jusqu'à la toucher et, en fait, grâce à d'ingénieux trucages, la caméra entrait sous la peau de cette personne et plongeait littéralement dans l'entrelacs des cellules de cette personne, par grossissement, jusqu'à l'atome et tout ce vide qu'il existe entre le noyau et les électrons dans leur course circulaire folle __ très difficile à concevoir pour moi cette idée que la proportion de vide étant telle par rapport à la matière même, en terme de volume occupé, il soit légitime de dire d'une enclume en fer forgé, dans ce qu'elle a de pesant et d'imposant, qu'elle est essentiellement faite de vide __ et puis de nouveau travelling arrière jusqu'à sortir de nouveau de la peau de cette personne allongéJournée 22042003.txt 1/2 -
00:07:07
Par Philippe Jonckheere (de) | 22 avril 2003 à 00:07:07
Les règles
1. se prendre en photo au lever du lit
2. prendre en photo une vue de la fenêtre du lieu ou l'on a dormi
3. prendre en photo tout être vivant et les interactions avec ce dernier
4. prendre en photo tout acte d'écriture manuscrite
5. prendre en photo tout objet avec lequel il y a interaction
6. prendre en photo chaque lieu et sous-parties d'un lieu
7. se prendre en photo dans chaque lieu et sous-parties d'un lieu
8. prendre en photo tout évènement inhabituel
9. prendre le plus de photos possible
10. ne pas faire de jolies photos
11. une tierce personne peut prendre des photos
12. relever l'heure précise de chaque prise de vue.Journée 22042003.txt 1/2 Mots-clés Texte, écriture -
00:13:13
Par Philippe Jonckheere (de) | 22 avril 2003 à 00:13:13
Les règles sont plutôt simples.
Journée 22042003.txt 1/2 Mots-clés Texte, écriture -
00:17:34
Par Philippe Jonckheere (de) | 22 avril 2003 à 00:17:34
Peu après minuit, détour par la salle de repos. Le travail de nuit comprend cet exercice coriace qu'il faille tenir le coup toute la nuit, dans cette épreuve, l'estomac est capricieux, tantôt un allié précieux tantôt un mauvais partenaire.
Journée 22042003.txt 1/2 Mots-clés Casserole -
00:23:34
Par Philippe Jonckheere (de) | 22 avril 2003 à 00:23:34
Faire bouillir une casserole d'eau, au point d'ébullition, y jeter les pâtes, des Penne complets, puis dans une autre casserole, faire réchauffer au bain-marie le contenu d'une briquette longue conservation de coulis de tomates, après le respect impérieux du temps de cuisson tel qu'il est préconisé sur l'emballage des pâtes, six minutes, jeter prestement (presto!) les pâtes dans une écumoire, les dresser dans une assiette, y incorporer le coulis tiède et saupoudrer de parmesan, déguster pendant que c'est encore chaud, éviter absolument de manger un tel plat refroidi.
Journée 22042003.txt 1/2 Mots-clés Pâte -
00:25:45
Par Philippe Jonckheere (de) | 22 avril 2003 à 00:25:45
Et prenant cette photographie de mes pâtes baignant dans leur jus, à l'arrière-plan, on ne manque pas de remarquer l'extincteur de rigueur en salle de repos qui paraît émerger des pâtes floues, je me dis qu'il va être difficile, compliqué, sinon même impossible, de respecter les consignes de ne pas faire de belles photographies, non que je sois toujours ravi du résultat de toutes mes photographies, mais je serai bien en peine, en y mettant la meilleure volonté du monde, de faire le tri dans toutes ces photographies et vous épargner celles qui soient réussies, si tant est qu'elles soient belles, puisque généralement prenant une photographie, j'ai cette habitude bornée de faire en sorte qu'elle soit motivée par toutes sortes de considérations esthétiques, parfois même, j'en rougis devant vous, qu'elle présente quelque agencement de formes et de couleurs plaisant à l'oeil. Alors goûtant mes pâtes et ayant reposé l'appareil-photo sur la table à la place habituellement dévolue au verre, c'est-à-dire en tête d'assiette, je déclenche hardiment, et sans regarder dans le viseur, l'appareil, l'objectif posé à même le formica peu engageant de la table de la salle de repos et, considérant la photographie ainsi prise, je lui trouve naturellement des qualités qui me rendent perplexe quant à mes chances de parvenir à honnêtement expurger les photographies qui soient belles parmi celles que je me propose de prendre pendant les prochaines vingt-quatre heures. Ce n'est donc pas gagné.
Journée 22042003.txt 1/2 Mots-clés Table -
00:40:04
Par Philippe Jonckheere (de) | 22 avril 2003 à 00:40:04
De retour de la cuisine, j'entame de consigner mes première notes dans le fichier de bloc-notes que j'ai ouvert à minuit et que j'ai finalement enregistré sous le nom de 22042003.txt, on s'y retrouve comme on peut dans l'arborescence de son disque dur, ce que je commence à noter de cette journée, qui commence la nuit, me voit sans cesse me prendre les pieds dans le tapis à écrire ou photographier que je suis en train d'écrire ou de photographier, d'ailleurs ce que je fais surtout c'est que j'écris que je photographie et je photographie que j'écris, pour photographier que je photographie il me faudrait un second appareil-photo, je n'ai pas pensé à me munir d'une autre appareil, suis-je distrait! (pourtant je savais bien que j'allai finir par me lancer dans ce genre de boucles), je pars donc mal équipé en terrain récursif, mais à la réflexion n+2 pour photographier que je me photographie photographiant pour bien faire il faudrait donc n appareil-photo. A la rigueur je peux écrire que j'écris et écrire que je me décris écrivant et ainsi de suite, mais quel intérêt?, on a tous compris ce que je voulais dire.
Journée 22042003.txt 1/2 Mots-clés écran, Texte -
00:55:22
Par Philippe Jonckheere (de) | 22 avril 2003 à 00:55:22
Je reprends mes notes, donc j'écris que j'écris pour ainsi écrire. J'écris comme un cochon, ce qui d'ailleurs me pousse à ne plus écrire avec un stylo dont force m'est de constater que je suis devenu incapable, nous y gagnons, tous, moi le premier, en lisibilité, pour ma part en relisibilité.
Journée 22042003.txt 1/2 Mots-clés Texte, écriture -
01:25:35
Par Philippe Jonckheere (de) | 22 avril 2003 à 01:25:35
Je m'octroie une pause, et descends au rez-de-chaussée où j'interagis, à mon corps défendant, avec un distributeur de bouteille d'eau minérale gazeuse de marque Badoit dont la gestion revient au comité d'entreprise de l'entreprise dont je suis salarié: interagis-je avec l'appareil distributeur, le comité d'entreprise ou l'entreprise elle-même, ou même encore avec l'entreprise Badoit?, il m'en coûte, littéralement, un jeton. Ces jetons sont une véritable monnaie de singe, ainsi dans mon entreprise ils coûtent cinquante centimes d'euros pièce, façon de parler pour un jeton, tandis que dans d'autres sociétés, on peut les acquérir pour moins, les même jetons, qui pareillement permettront d'acquérir une bouteille d'eau minérale fraîche ou un café bien chaud, et chose étonnante sur certaines aires de repos ou sur certaines stations-services, d'autoroute les machines à café sont pareillement opérables à l'aide d'un de ces jetons dont le prix est inabordable, un euro le jeton, rendez-vous compte. Je me souviens que descendant dans les Cévennes en voiture en compagnie d'un collègue de travail, nous avions acquis des cafés à bon marché sur une de ces aires d'autoroute à l'aide de jetons du café que nous avions d'avance du boulot, minimale résistance bien sûr, mais qui nous avait mis en joie. De façon nettement moins anodine, l'acheminement mécanique des bouteilles vers un guichet duquel, celui qui a inséré un jeton dans la fente idoine, peut récupérer (mais vous avez tous déjà utilisé un distributeur automatique, je ne vous fais pas un dessin) ce qui devient son bien, cet acheminement d'automate provoque chez moi toutes sortes de pensées douloureuses qui ont cette racine dans l'image (une gravure dans les tons bistres, rehaussés de cernes noirs) vue, dans l'hebdomadaire l'Express, à l'occasion de la mort de Mao Tsé Toung, en 1976 donc, à l'âge de onze ans et qui représentait une scène d'exécution en série par décapitation au sabre, en Chine donc, et comment dans l'alignement des condamnés agenouillés se tient tapie l'impression épouvantable que ces exécutions sont éternelles, qu'elles vont durer de façon infinie.
Journée 22042003.txt 1/2