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Par Philippe Jonckheere (de) | 22 avril 2003
Je me souviens que je n'ai entendu cette chanson que pendant un seul été, j'avais quatorze ans, j'étais au Pays de Galles, dans une petite ville balnéaire, Porthcawl, je ne suis plus très sûr, il faudrait regarder sur une carte, en voyage d'apprentissage des langues, et à l'époque combien ironisions-nous sur les efforts de nos parents qui nous envoyaient faire des progrès en langue, et nous étions bien fanfarons de dire que c'était surtout dans le maniement de la langue que nous faisions le plus de progrès, je veux parler, bien sûr, de ces premières pelles à la salive abondante à pas trop savoir quoi faire, ce qu'il était convenu de faire, de remuer la langue, c'était entendu, mais dans quel sens?, après tout nous étions au Royaume Uni. J'étais logé chez un médecin qui parlait parfaitement le français et qui prenait beaucoup de plaisir à m'apprendre les pires grossiéretés de la langue anglaise. Dans ma chambre, il y avait un tourne-disque ce qui constituait pour moi le rêve, avoir un tourne-disque dans sa chambre et ne pas avoir à négocier avec le père une interruption d'une série de disques d'Oscar Peterson pour pouvoir écouter quelques morceaux du Double Blanc, ou comble du luxe, la face 2 entière d'Abbey Road sur le pick-up du salon à Garches. Véritable supplice de Tentale cependant parce que les seuls disques disponibles étaient des tartes à la crème anglaises terribles, l'équivalent de ce que la variété française peut produire de pire, surtout celle des années soixante-dix, mais comble du bonheur tout de même, il y avait un double disque des Rolling Stones, une compilation de leur débuts, c'était la première fois que j'entendais les Stones et j'étais médusé d'entendre des morceaux comme Not Fade Away ou Play with fire. Ce dont je me souviens c'était l'effet vraiment incroyable que ce disque passé en boucle pouvait avoir sur ma libido, dont on imagine sans peine qu'à quatorze ans elle me travaillait déjà suffisamment comme cela, merci. Je me souviens de ma première petite amie, cet été là, elle était la première avec laquelle j'échangeais de ces baisers humides décrits plus haut, elle s'appelait Soline Langlois, elle avait des seins grandioses et me laissait en faire autant de choses, c'est à dire assez peu, que j'étais capable d'imaginer à cet âge, les toucher, les palper, en sentir le poids dans mes mains, c'était déjà beau, tandis que nous écoutions ce disque des Rolling Stones dans ma chambre, elle, elle était tombée sur une famille nettement moins drôle, dans laquelle il n'aurait pas été pensable que deux adolescents français, de sexe opposé, puissent être laissés sans surveilance étroite. Soline était prête à tout, territoires flous sur lesquels au contraire je n'étais pas du tout résolu à m'aventurer parce que le sermon paternel de pré-vacances, dans le salon, sur fond de Modern Jazz Quartet à tous les coups, résonait assez fort encore à mes oreilles (aujourd'hui c'est surtout le swing des mailloches de Milt Jackson qui perdure à mes oreilles). Et j'en étais là de mes pensées, partiellement immergé dans le bassin moyen de la piscine de Gournay-en-Bray, rattrapant Madeleine aux sortires du toboggan qui enchaînait descente après descente sans sembler se lasser du tout de ce petit manège.
Journée | 22042003.txt 1/2 |